Knowledge is a deadly friend when no one sets the rules. The fate of all mankind I see is in the hands of fools. King Crimson - Epitaph (1969)

Retour au franc : une histoire de blondes

Écrit par Paul Renard. Publié dans Humeurs du moment

francpetain01Comme chacun le sait, en dehors de la fermeture des frontières, de l'autarcie et des charters d'immigrés, la grande idée de Marine Le Pen, c'est le retour au franc. Idée partagée par nombre de personnes au zinc des comptoirs qui se plaignent de l'augmentation du litre de pinard. Ben tiens, c'est tellement évident : "si ça ne va pas chez nous, c'est forcément de la faute des autres". Une idée partagée en son temps par un certain Adolf… Sans doute choisira-t-elle d'ailleurs par nostalgie d'un passé glorieux le franc Pétain, avec la fameuse devise : travail, famille, patrie, plus conforme aux lignes idéologiques de son parti.

Le retour au franc, que voilà donc une grande idée ! Mais analysons les conséquences d'une telle mesure.

Et cela passe par un petit cours de l'Histoire du monde depuis 1944 – je vais essayer de faire bref, rassurez-vous ! –.

brettonwoods01En 1944 donc, à la sortie de la dernière guerre mondiale (je préfère le terme "dernière" à "seconde"), se réunissent à Bretton Woods aux USA les 44 nations alliées, plus un observateur du bloc soviétique. Cette réunion donne lieu aux fameux accords du même nom, dont la principale mesure était l'adoption du dollar américain comme valeur de référence, basée sur l'or, les USA garantissant qu'un dollar s'échangerait de manière fixe contre 35 onces d'or. Par là-même, on voit qu'ils se garantissaient une prédominance de fait sur l'économie mondiale. Toutes les monnaies fluctuaient donc autour de ce dollar stable pour l'éternité (!). Les économies occidentales étaient satisfaites, celles de pays pauvres évidemment moins, puisque leurs richesses minières, par exemple, étaient fortement sous-évaluées. Petit à petit, les champions apparaissent, avec des monnaies fortes, comme l'Allemagne, pénalisant à priori leurs exportations, mais les forçant aussi à améliorer leur productivité, et viser la qualité de leur produits, puisque vendus plus chers (de là vient la légende automobile allemande).

serpentmonetaire01Tout aurait pu continuer ainsi, mais… les USA, fortement importateurs, et plombés par la course à l'armement, les guerres et la course à l'Espace, se voient contraints de "faire marcher la planche à billets verts". On devine aisément la suite : en 1971, unilatéralement, les USA abandonnent la convertibilité avec l'or. C'est l'effondrement du dollar, une ruée vers l'or et les valeurs refuges, bref : une nouvelle crise économique en perspective. Les Européens décident alors de créer "le serpent monétaire européen" : un système dans lequel tous les pays signataires s'engagent à ne pas fluctuer les uns par rapport aux autres de +/- 2,5 %. En pleine inflation mondiale, une gageure. L'Angleterre quittera le serpent deux mois après y être rentré, l'Italie suit en 1973, et la France sort du serpent par deux fois en 1974 et 1976.

Jusqu'en 1978, la chute du dollar continue, allant jusqu'à perdre 12,34 %, alors que la balance commerciale américaine accuse un déficit de 31 milliards de dollars en 1977. En 1978, le franc plonge à nouveau lors des élections législatives, et la livre sterling, malgré la dévaluation de 30 % en 1976 reste toujours très faible.

systememonetaire01Le 27 octobre 1977, c'est le britannique Roy Jenkins, alors président de la Commission Européenne, qui propose, lors de la conférence de Florence, la création d'une monnaie unique pour les 9 pays de la communauté et la création d'un budget communautaire fixé à 10 % du produit intérieur brut de chaque état membre. Cette mesure entre en vigueur en juin 1979, après d'âpres négociations. C'est le Système Monétaire Européen.

Ce système repose sur trois piliers :

-          un encadrement des marges de fluctuation autour d'un cours pivot, l'ECU (European Currency Unit). Pour autant, l'ECU n'est pas une monnaie unique, mais reste purement virtuel.

-          un mécanisme de change qui assure un lien solide entre les monnaies nationales.

-          Un système de crédit qui gère la solidarité monétaire des pays.

Ce système a vu le jour notamment grâce à la force de la France et de l'Allemagne, et en fait, la plupart des experts restaient sceptiques quant à sa durée de vie. Et pourtant, le système est resté stable, a permis à l'Europe de passer le deuxième choc pétrolier, les monnaies européennes sont restées plus stables qu'au cours des sept années précédentes, il a facilité la lutte contre l'inflation et favorisé le rapprochement des politiques économiques. Mais à terme, le système se révèle au final plutôt décevant. On décide alors d'aller plus loin… (source : wikipedia)

En 1992, après la réunification de l'Allemagne et des tensions monétaires accrues en Europe, la lire italienne et la livre sterling quittent le SME. Août 1993, les pays du SME décident d'élargir provisoirement les fluctuations à 15 % autour de l'ECU. Entre-temps, pour empêcher d’importantes fluctuations des taux de change entre les monnaies européennes et pour éliminer les dévaluations compétitives, les gouvernements de l’Union européenne décident de relancer le projet d’union monétaire véritable et d’introduire une monnaie unique. Au Conseil européen de Madrid en juin 1989, les dirigeants de l’Union européenne adoptent un plan en trois phases pour une union économique et monétaire. Ce plan est intégré au traité de Maastricht sur l’Union européenne, adopté par le Conseil européen en décembre 1991. L'Union Monétaire Européenne est née… en trois étapes :

La première phase s’est ouverte le 1er juillet 1990. Elle comprend:

  • la liberté totale de circulation des capitaux dans l’Union (fin du contrôle des changes);
  • l’augmentation des moyens destinés à corriger les déséquilibres entre les régions européennes (Fonds structurels);
  • la convergence économique, à travers la surveillance multilatérale des politiques économiques des États.

La deuxième phase débute le 1er janvier 1994. Elle comprend :

  • la mise en place de l’Institut monétaire européen à Francfort. L’IME est composé des gouverneurs des banques centrales de l’Union;
  • l’indépendance des banques centrales nationales;
  • la réglementation sur la réduction des déficits budgétaires.

La troisième phase était la naissance de l’euro: le 1er janvier 1999, les onze monnaies des États participants disparaissent au profit de l’euro qui devient ainsi la monnaie commune de la Belgique, de l’Allemagne, de l’Espagne, de la France, de l’Irlande, de l’Italie, du Luxembourg, des Pays-Bas, de l’Autriche, du Portugal et de la Finlande (la Grèce les rejoint le 1er janvier 2001). La Banque centrale européenne remplace l’IME: elle est désormais responsable de la politique monétaire qui est définie et exécutée en euros.

Le 1er janvier 2002, les billets et les pièces libellés en euros sont mis en circulation. C’est le début de la période de retrait des pièces et des billets nationaux qui s’est terminée définitivement le 28 février 2002. Depuis lors, seul l’euro peut être utilisé dans toutes les transactions scripturales et fiduciaires.

La troisième phase : Les conditions de passage à la troisième phase sont fixées dans un protocole énumérant cinq critères de convergence :

Stabilité des prix (pas plus de 1,5% de la moyenne des trois États ayant la plus faible inflation), les taux d'intérêts à long terme ne peuvent dépasser plus de 2 % par rapports aux États ayant la plus faible inflation, un déficit public national inférieur à 3 % du Produit Intérieur Brut, une dette publique n'excédant pas 60 % du PIB, et enfin les taux de changes devront rester dans la marge autorisée durant les années précédentes.

Les nouveaux États membres ont alors vocation à rejoindre la zone Euro dès lors qu'ils remplissent tous ces critères telles la Slovénie en 2007, Chypre et Malte en 2008 ou la Slovaquie en 2009. (source : europa.eu).

Alors, faut-il maintenant quitter l'Euro, responsable de tous les maux, selon MLP ? Les analystes s'accordent à dire que si la zone Euro devait perdre certains de ses membres, voir éclater purement et simplement, aucun pays n'en sortirait indemne, au moins à court terme.

Selon une analyse de Capital Economics, même un changement limité de périmètre de la zone Euro, où seuls la Grèce, le Portugal et l'Irlande quitteraient la monnaie unique au cours des deux prochaines années, entraînerait une baisse du PIB de la zone euro de 1 % en 2012 et 2, 5 % en 2013, soit l'équivalent de la récession de 2008-2009.

Si un pays "faible", comme la Grèce quittait l'euro, il lui en coûterait entre 9500 et 11 500 € par habitant la première année, puis 2 à 4000 les années suivantes. Pour l'Allemagne, pays "fort", les conséquences ne seraient pas neutres non plus : entre 6 et 8 000 € la première année, puis 2 à 4 000 pour les suivantes (étude de la banque UBS).

Le retour aux monnaies nationales se traduirait par des dévaluations pour certaines, une appréciation pour d'autres. Ainsi le mark s'apprécierait face au dollar, tandis que la Grèce verrait la valeur de sa monnaie plonger de 60 %, l'Italie, la Belgique ou l'Espagne de 35 %. Dès lors, les pays les plus fragiles devraient restructurer leur dette à un coût beaucoup plus élevé, et le système bancaire national risquerait de s'effondrer face au peu de confiance accordé à la nouvelle monnaie : les citoyens, face au risque de dévalorisation de leur épargne, seraient tentés de retirer leurs économies, les entreprises auraient du mal à trouver des capitaux, et, au final, l'économie risquerait de ne plus fonctionner, avec tous les désordres sociaux qui s'ensuivent. (source: 20 minutes.fr)

lafrancepetainplomb01En conclusion, s'il est certain que l'euro ne constitue pas la panacée contre toutes les attaques financières et/ou spéculatives, si l'Europe est loin d'être, dans l'état actuel, la solution idéale, elle constitue pour l'instant le seul paravent efficace contre la globalisation des marchés. Quitter l'euro reviendrait à isoler notre pays face à un monde en pleine crise de mutation. Et même si la dévaluation prévue (20 % selon certains spécialistes) permettrait de booster nos exportations, il est certain qu'à l'inverse, tout ce que nous importons (énergie, biens de consommation,…) nous coûterait… 20 % plus cher ! Ce que se gardent bien de dire les tenants du retour au franc. Et plutôt que de fustiger l'Europe, responsable soi-disant de tous les maux, on ferait bien mieux d'accélérer l'intégration européenne, en créant une véritable fédération d'États, puissante et efficace, face aux enjeux du monde d'aujourd'hui. Forte de ses 400 millions d'habitants, de ses richesses culturelles, industrielles ou agricoles, l'Europe Fédérale, avec des politiques sociale, économique et fiscale unifiées, préviendrait de toute velléité de délocalisation, de fuite fiscale ou d'exploitation des travailleurs. Alors, de grâce, en 2012, ne votez pas pour les idées du passé, mais pour celles de l'avenir.