Knowledge is a deadly friend when no one sets the rules. The fate of all mankind I see is in the hands of fools. King Crimson - Epitaph (1969)

ITER : attention danger !

Écrit par Paul Renard. Publié dans Humeurs du moment

Dans les années 70, l'énergie nucléaire était essentiellement assimilée à l'épée de Damoclès qui pesait sur le monde : la Guerre Froide battait son plein et les "armes de dissuasion" proliféraient un peu partout dans le monde, alors dominé essentiellement par l'Union Soviétique et les États-Unis.

Le nucléaire, c'était avant tout, les bombes et les missiles qui pouvaient éradiquer toute vie sur Terre. La folie des hommes battait son plein, comme toujours. Tout le monde se souvient de l'excellent film de Kubrick "Dr. Folamour"… Il y a même eu des victimes en France : souvenons-nous de Vital Michalon, militant anti-nucléaire qui trouva la mort, atteint par une grenade défensive qui trouva la mort alors qu'il manifestait contre l'installation de Super-Phoenix à Creys-Malville…

 Michalonstele

Dans ce contexte, l'énergie nucléaire civile avait forcément mauvaise presse. Lorsqu'en 1979, le réacteur de Three Miles Island entra en fusion, les choses ne s'arrangèrent évidemment pas !

Core Three Miles Island

En France, sous la présidence de Giscard d'Estaing, la France entra massivement dans l'ère du nucléaire civil, que l'on présentait alors comme le futur, l'énergie non polluante de l'avenir et autres imbécillités.

Malgré cela, l'opposition restait farouche. À juste titre : la fission de l'atome est dangereuse et génère des déchets radioactifs pour des milliers d'années.

Alors, dans les années 80 – 90, il y eut des campagnes de pub où l'on montrait un bon "génie" nucléaire apportant le confort et la prospérité à l'Humanité. Mais là encore, rien n'y faisait. Oh ! Bien entendu, chacun était satisfait d'avoir de la lumière, du chauffage, et une télé allumée à moindre coût pour visionner ce monde nucléaire merveilleux.

94 Reagan Gorbatchev

Un an avant Tchernobyl, une rencontre eut lieu entre Reagan et Gorbatchev en 1985. Une rencontre qui était censée changer la donne, juste à la sortie de la Guerre Froide.

C'est là qu'est né le projet ITER. On parlait alors "d'énergie illimitée", de "soleil en éprouvette", "d'atome bienfaisant", et autres sornettes.

Un an après, il y eut Tchernobyl et son nuage radioactif qui, bien évidemment, fut arrêté aux frontières françaises sans doute par nos zélés douaniers…

Et voilà le mythe créé ! La fusion n'engendre aucun déchet, aucun risque, rien… Quelle merveille ! Sur le Net, on trouve cette image fabuleuse et féerique de deux atomes (deutérium et tritium) entrant en fusion et produisant de l'énergie et de l'Hélium (génial : on va pouvoir gonfler des milliards de ballons !).

Seulement voilà : ITER n'est ni plus ni moins qu'une gigantesque expérience à 15 milliards d'euros (pour l'instant : le budget a déjà triplé) qui ne produira jamais le moindre watt, puisqu'il est censé étudier la faisabilité industrielle de la fusion nucléaire.

ITER, fort des expérience du tokamak anglais JET qui a réussi l'entretien d'une réaction de fusion durant une seconde avec un coefficient Q = 0,7, c'est-à-dire non rentable puisqu'il fallait plus d'énergie pour produire l'énergie produite ! Normal : JET (Joint European Torus) est trop petit. D'où l'idée de "faire plus grand" et d'obtenir – en théorie – un coefficient Q = 1,4. Les concepteurs d'ITER espèrent obtenir 5 avec un temps de fonctionnement de 400 à 1000 secondes.

Il est vrai que la réaction de fusion est extrêmement instable : si un incident se produisait, la pollution serait limitée à des atomes de deutérium, de tritium, de lithium (dont on extrait le tritium) et d'hélium. Bref, des déchets dont les demi durées de vie si situent en siècles et non en milliers d'années.

Le problème, c'est que le fonctionnement de tout cela n'a jamais été testé. Le réacteur sera chargé avec un mélange 50/50 de deutérium et de tritium (deux isotopes de l'hydrogène). La réaction produira un noyau d'hélium, emportant une énergie de 3,5 MeV et un neutron doté d'une charge de 14,1 MeV.

95 Fusion D T

Lisons Jean-Pierre Petit, spécialiste des plasmas : "le champ magnétique de confinement s’oppose à l’évasion de ce noyau d’hélium, tant que faire se peut. En échangeant de l’énergie avec les ions deutérium et tritium, celui-ci contribuera à maintenir la température du plasma, qui tend à se refroidir en continu par rayonnement. Mais ce champ est sans effet sur le neutron qui n’étant pas électriquement chargé ira immanquablement frapper la paroi. Capturé par ses matériaux, il créera de la radioactivité dans ses éléments, par « activation », transmutations diverses.

Feu le prix Nobel Gilles de Gennes doutait que l’on puisse protéger le délicat matériau de l’aimant supraconducteur du bombardement des neutrons de fusion. Les éléments supraconducteurs sont fragiles. Les dégâts provoqués par les neutrons peuvent, en provoquant des transmutations, faire disparaître localement la supraconduction, mettre le très coûteux aimant hors service, voire provoquer sa destruction.

Confrontés à cela, les responsables d’ITER répondent que derrière la première paroi (« the first wall ») et l’aimant s’interpose une enveloppe de lithium, ou plutôt d’un composé à base de lithium qui, du reste, en absorbant les neutrons, régénère le tritium, à travers la réaction exo-énergétique :

6Li + n 4He + 3H + énergie (4,8 MeV)

On remarquera au passage que cette réaction est une réaction de fission, stimulée, d'un atome de Lithium sept, qui se trouve dans un état instable et se scinde en deux atomes, possédant respectivement 4 (hélium) et 3 (tritium) nucléons.

Cette couverture tritigène est l’état liquide, formant un mélange de Lithium et de Plomb. Le plomb a pour fonction de ralentir les neutrons et, frappé par un neutron, peut en émettre deux. Cette masse liquide à 500°C est refroidie par de l’eau pressurisée. Il est hors de question que ce mélange de métaux à l'état liquide soit mis en contact avec cette eau. Le lithium fond à 180°C et se vaporise à 1342°C.

Le lithium ne brûle pas dans l'air, à la température ordinaire, comme le fait son cousin alcalin, le sodium. Mais pour peu que la température soit suffisante, brûle comme son autre cousin : le magnésium, et cette combustion est violemment exothermique. Mis en présence d'eau, à 500°C, il décompose celle-ci, et lui prend son oxygène en libérant de ... l'hydrogène. Vous retrouvez une réaction semblable à celle des gaines de zirconium entourant les pastilles combustibles, dans les réacteurs de Fukushima, et en règle générale dans tous les réacteurs refroidis avec de l'eau, quand la température s'élève au point que cette eau passe à l'état de vapeur.

L'hydrogène dégagé par la réaction du lithium avec l'eau chargée de le refroidir dégage de l'hydrogène qui, en se combinant avec l'air, peut provoquer une explosion, comme celles que vous avez vu à Fukushima. Le lithium est un corps extrêmement réactif, qui peut se combiner avec l'oxygène, l'hydrogène (, en donnant de l'hydrure de lithium, l'explosif-type des bombes à hydrogène). Il peut même se combiner avec ... l'azote, à température ordinaire, en donnant des nitrures de lithium. Toutes ces réactions sont exothermiques, susceptibles de connaître un emballement dommageable.

Personne n'a évoqué ce qui se passerait si, dans un réacteur "à fusion" le lithium se mettait à brûler, ou à se combiner à l'eau qui est censée le refroidir. Ces couvertures tritigènes n'ont pas été testées. Comme le faisait remarquer Michèle Rivasi lors de cette rencontre, il serait préférable de tester le comportement de ces couvertures tritigènes sur d'autres machines, comme le JET, ou les machines allemandes (l'ASDEX, au Max Planck Institute), ou Japonaises, avant de se lancer dans un projet dispendieux, dangereux, problématique."

Le problème avec ce projet, c'est que rien n'a été actuellement testé (cela aurait pu être fait à moindre risque avec le JET) au niveau de la résistance des matériaux et de cellules de confinement dont, pour l'instant, personne ne peut prédire la réaction face aux 150 millions de degrés générés, nécessaires à la production du plasma de fusion. Pour faire simple, si, par accident de l'eau de refroidissement se mêlait à l'ensemble, ce serait la catastrophe garantie !

En gros, et pour le reste je vous invite à visiter le site de JPP ou à lire son article dans la revue Nexus n° 75, un "incident" lors des essais ITER pourrait provoquer, outre une pollution radioactive non négligeable, l'émission de particules hautement cancérigènes et toxiques (notamment issues du béryllium utilisé, connue sous le nom de bérylliose), sans compter les dégâts aux alentours !

Il existe d'autres solutions, non polluantes (hormis leur construction, mais il en va de même pour les centrales nucléaires à fission ou à fusion), comme les centrales solaires thermiques à concentration, telle celle opérationnelle d'Andasol en Espagne.

Site Andasol

Des solutions moins onéreuses, produisant tout de suite de l'énergie, durablement.

Alors, pourquoi dépenser des fortunes dans un rêve dangereux, qui produira peut-être vers les années 2050, après que DEMO, successeur d'ITER, devienne opérationnel ? Serons-nous encore là pour le voir ?