Knowledge is a deadly friend when no one sets the rules. The fate of all mankind I see is in the hands of fools. King Crimson - Epitaph (1969)

Bonus de Pâques

Écrit par Paul Renard. Publié dans Humeurs du moment

Un ptit texte de Manuel Tinocho-Vilchez, auteur et libraire de son état ! D'ailleurs, si vous habitez près de Calais, et même si vous n'y résidez pas, allez le voir dans sa librairie "La Mouette Liseuse", 47, rue des Thermes. Manuel a publié chez Atria une petite merveille de Science-Poésie sous le titre "La petite marchande de photons", à lire d'urgence !!

 

Un lit. Oui, un lit. Un lit, quoi ? Vous voyez bien ? Un lit de chez Ikea, ou de chez But, tiens ! Ou même de chez Castorama, Conforama, Boborama, un lit, un bête lit, pas mezzanine du tout, un machin avec quatre pieds, coloris pin naturel ou baobab surgelé, un lit pour se vautrer, un lit pour se chouchouter. Pour péter dans les draps, pour se tourner le cul, se fâcher, se rabibocher, ben un lit, un lit, oui…

Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que c’est haut pour un vieux célibataire endurci. Horrible, Miss Marpel ! Un lit, chaque matin, quand le réveil sonne... Ah ! Un lit qui sonne tout entier avec la voix du speaker, Monseigneur Maillot, qui me pénètre jusque dans le troufignon ! Ouais, c’est horrible, horrible ! J’ai mis Radio Vatican, ça met un peu d’huile Sainte dans mes rouages, mais c’est dur, c’est dur-dur, mes amis, mes frères, mes sœurs, un lit qu’il faut quitter pour aller bosser. Bosser, toujours bosser, bosser, bosser, produire ! Faut se lever, comme hier à la même heure, toujours l’heure…. L’heure de Radio Vatican. Parfois je change, je mets France Bénédiction. Y a moins de pub et plus de cantonales. Mais bon, pour le lit, c’est pareil. La marche est aussi haute le matin.

Oh puuuuutain ! Les vertèbres à déplier, une à une ! Ça fait mal ! Les pieds froids sur le lino ! J’ai enlevé la moumoute vendredi saint dernier, elle datait du concile Vatican II. Faut que je me tourne tout doucement, aïe, là, vers la radio qui débite, aïe, mettre une cuisse sur l’autre, aïe, pas me coincer les rouroutes, aïe, clouer le bec à Monseigneur Maillot et son séisme quotidien, son inondation du jour, sa montagne pelée qui me les pèle, son irradiation à dose de grande écoute ! Tais toi, clac ! Tiens voilà pour toi ! Boucle la ! Je suis réveillé ! Ça est, c’est fait ! T’as gagné ! Je vais me lever pour aller bosser, faire ma B-A, mon petit miracle quotidien, mon action de grâce pour faire monter les actions de ma société en grâce… Faut bien justifier son salaire et ses stocks options.

Mon fonds de commerce est presque épuisé. Rome racle les fonds de bénitiers, mais moi tous les mois je passe à la caisse… Alors faut que je fasse acte de présence. Même s’il n’y a pas la queue devant l’autel… Je dois aller à l’usine, moi, secouer ma carcasse, bouger mes vertèbres réticentes, mon surmoi pondéral, prendre ma mine tristounette, écarter les bras et grimper sur ma croix quotidienne, là bas, dans la nef, au-dessus de l’orgue ! Pfff ! Avec de multiples contorsions, je me lève, trois notre père, je me sers du café, un ave, j’avale, je me brûle, aïe, je cours à la salle d’ablutions, faut pas que je loupe l’heure du car, et là, c’est mon péché mignon quotidien, ma seule petite éclaircie du jour, mon aurore, ma résurrection perso. Je me touche. Ben oui, quoi, j’ai toujours fait ça. Une fois par jour… Mais là, 33 ans après l’andropause… C’est fukushima. Y a plus de pression dans le réacteur, ma libido est fissurée. Et j’ai beau me verser de l’eau bénite, froide ou chaude, c’est le silence après la catastrophe, la mission suicide, aucun pompier ne viendrait à bout du tsunami. Bref, tout penaud, je me prends à regretter mon acné juvénile, mes blagues idiotes, ma collection d’autocollants avec les joueurs du barça, mon rire con à table, tais toi n’embête pas ton frère et mon premier frisson, ma première ingérence internationale avec une voisine, il y a bien longtemps de ça, je n’avais que treize ans, ah ! oui ! et je sautais de mon lit comme un cabri, avec la trique, le goupillon ! la crosse !

Enfin, je quitte mon HLM et je prends le car, dépité, la tête et la queue basse, j’ai enfilé mon survet jesus company et je rentre à l’atelier, au vestiaire j’enlève mon survet, je mets mon pagne, mon cache misère, je brique un peu mes stigmates, je grimpe sur ma croix, j’écarte les bras d’un air las, on me remet les mêmes clous qu’hier et…

Je baisse les yeux, je fixe mon pagne… Un jour, je suis sûr que le miracle se produira.   

Mon pagne se soulèvera, tout doucement, puis plus franchement… Au premier rang trois bigotes se concerteront, messes basses, le curé s’enfuira vers son ordi pour envoyer des mails ébahis dans tous les coins, à l’évêché, au couvent, à l’épiscopat, au ministère de l’intérieur et là, bientôt, je verrai arriver les voisines, toutes les voisines, mes sœurs, celles du coin et celles de plus loin, les Bernadette et les Blandine, les Jeanne, les Myriam et les Fatima, toutes celles que j’ai aimées en secret et mon pagne se soulèvera enfin ! Aux yeux du monde entier !

Ce sera ma Résurrection ! Pâques ! Hosanna ! Ceci est mon corps, mes frères, mes sœurs !

Alors, lorsque mon temps sera revenu en arrière, au temps béni de mon acné juvénile, lorsque je pourrai de nouveau être à l’image de l’homme, je glousserai d’un rire bête et je monterai au ciel rejoindre Bernadette, Myriam, Fatima, Blandine, Jeanne. Ce qui j’y ferai ne regarde que moi, c’est ma vie privée. Vous ne croyez pas que vous allez me clouer sur une croix pour l’éternité, non ?