Knowledge is a deadly friend when no one sets the rules. The fate of all mankind I see is in the hands of fools. King Crimson - Epitaph (1969)

Le Monde des Non-A

Écrit par Paul Renard. Publié dans Humeurs du moment

 

J'ai récemment relu deux chefs d'œuvres d'Alfred Elton van Vogt, Le Monde des Non-A et les Joueurs du Non-A dans lesquels l'auteur décrit ce que peut être une pensée non-aristotélicienne. J'avais déjà lu ces romans dans les années 70, mais je dois dire que le gamin que j'était à l'époque n'avait pas franchement "accroché" : je trouvais cela bizarre, lourd et très loin des ouvrages qui me faisaient alors rêver, tels ceux de Frank Herbert, Isaac Asimov, Philip Dick ou encore Ray Bradbury pour ne citer qu'eux.

Dans ces deux histoires, l'auteur décrit une humanité dont une grande partie est restée fidèle à la philosophie aristotélicienne, tandis qu'une autre a développé une culture non-aristotélicienne. Quelle est la différence allez-vous me dire ?


 

En fait, c'est assez simple, dans la société aristotélicienne, les réactions purement thalamiques déterminent le comportement individuel et collectif, dans la société non-aristotélicienne, ce sont des réactions plus complexes, cortico-thalamiques. Pour simplifier, les premiers réagissent en fonction de leurs émotions qui siègent dans la partie du cerveau nommée thalamus, les seconds en fonction d'une pensée mêlant une autre partie du cerveau, le cortex, avec le thalamus : les émotions sont alors combinées à  la perception et la compréhension intégrale des tenants et aboutissants d'une situation donnée. Là, vous avez compris mais vous vous demandez maintenant où je veux en venir ?

Tout simplement à ceci : loin d'évoluer vers une forme de pensée supérieure, nos sociétés sont de plus en plus thalamiques : satisfaction éphémère des envies induisant une consommation effrénée, immédiateté, importance de l'instant, vitesse de réaction excessive allant parfois jusqu'à l'hystérie comme lors de grands évènements (coupe du monde, concerts,... ou évènements traumatisants). Prenons un exemple typique : le conflit au Moyen-Orient entre Palestiniens et Israéliens. D'un côté on entend : "les Palestiniens sont des terroristes" "ras-le-bol des Islamistes", de l'autre : "les Israéliens sont des monstres sanguinaires", "ils vont se faire haïr durant des décennies". Toujours mus par la seule émotion de l'instant, deux camps clivés s'affrontent alors, les pro-Palestiniens et les pro-Israéliens, soutenus en fond d'écran par les partis populistes d'extrême-droite ou d'extrême-gauche qui voient là un vivier d'électeurs potentiels.

Et les médias – surtout la télévision – ne font rien pour élever le débat et se contentent de diffuser en boucle à longueur de journée les images les plus atroces possibles et compter les morts : blessés, cadavres sanguinolents, bombardements, cités en ruine, exodes, etc. Mais, à part de rares exceptions, comme Arte, aucune analyse pertinente n'est menée, ou alors à des heures où le commun des mortels soit dort, soit n'a qu'une envie, celle de se distraire. Il est vrai qu'il vaut mieux privilégier l'audimat à base d'émissions vulgaires – spécialité de certaines chaînes –, ce qui permet de favoriser, outre l'abrutissement des masses, la vente d'écrans de réclames de plus en plus lamentables, la palme revenant à une marque de produits nettoyants tournée en vertical et accompagnée d'émoticones (ou émoti-cons).

Et pourtant, ce conflit est à replacer dans son contexte global : une situation multimillénaire où d'un côté des populations se sont retrouvées à devoir cohabiter sur la base de textes dits sacrés dans lesquels une entité hypothétique aurait donné aux uns une terre promise, quitte à en chasser ceux qui l'occupaient déjà, tandis qu'aux autres, le combat contre l'envahisseur ouvrait les portes d'un paradis tout aussi hypothétique ! Ajoutez à cela un comportement purement thalamique conduisant à la vengeance, érigée même en loi "sacrée", celle du Talion, "œil pour œil , dent pour dent", et vous avez tous les ingrédient d'un cocktail explosif ! Sur la base de croyances monothéistes, où forcément le dieu des uns est plus fort que celui des autres, des gens s'entretuent ainsi depuis plus de 6 000 ans alors que ces mêmes textes "sacrés" leur donnent une souche commune, un certain Sem, fils d'un petit paysan hypothétique devenu armateur, d'où le mot Sémite. Et c'est à un tel point d'obscurantisme que le mot "antisémite" ne concerne désormais plus que les anti-Israéliens, alors que, par définition, un antisémite est aussi un opposant au peuple Arabe.

Ceci n'est bien entendu qu'un survol rapide d'une situation, mais pourquoi ne pas essayer d'analyser plus profondément les évènements qu'on nous présente – il en a quantité d'autres : crimes sordides, crimes sexuels, guerres, accidents, catastrophes climatiques, etc. – et   visionner les JT autrement que sous le seul regard des émotions de l'instant ?