Le mythe de la croissance
Quel que soit le gouvernement en place, ou l'opposition à ce gouvernement, le langage est identique lorsqu'il s'agit d'économie : "il faut de la croissance !". La croissance, c'est le plein emploi, le pouvoir d'achat, la paix sociale, bref : le bonheur. Arte a diffusé un documentaire édifiant sur le sujet le 1° octobre 2013. Tout d'abord, il montre que la croissance économique a fait un bond de 18,6 % entre 1900 et 2012, soit autant que durant les 19 siècles précédents !
Une accélération extraordinaire due essentiellement à l'augmentation de la productivité. À cette époque, les actionnaires investissaient dans du concret : usines, machines,… et finançaient ainsi directement les entreprises.
Mais, depuis, la financiarisation a fait son chemin. En effet, au fil des années, plutôt que d'emprunter aux banques, les entreprises ont fait appel aux marchés pour trouver de l'argent frais afin d'investir… oubliant que ces nouveaux actionnaires allaient exiger des dividendes. Jusqu'en 1993, la courbe de la croissance suit celle des dividendes distribués. Puis, c'est l'envolée de ces derniers !
Résultat n° 1 : le niveau des investissements ne fait que diminuer, alors que les actionnaires se gavent. Depuis 2003, la part de dividendes distribués dépasse celle des investissements nécessaires.
Résultat n° 2 : pour maintenir les dividendes à leur niveau de progression annuelle, il faut diminuer les coûts de production ; et la variable d'ajustement la plus commode est, bien entendu, le salarié !
Résultat n° 3 : alors que, en 1980, les 1% des personnes les plus fortunés aux USA détenaient 10% de la richesse nationale, ils en détiennent aujourd'hui 20 %.
Un chiffre exactement identique à celui de 1925, juste avant le crash de 1929.
à situation identique, conséquences identiques : paupérisation des populations, montée de la xénophobie et des extrémismes de tout poil, avec les conséquences que, hélas, tout le monde connaît. Bref, le capitalisme s'affole une fois de plus, et, comme le disait si justement Victor Hugo : "c'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches".
On parle aujourd'hui de coût du travail, de sacrifices essentiels au retour d'une croissance illusoire. Les entreprises se disent prises à la gorge par l'augmentation des charges et du coût social. Mais dans ce discours, on oublie vite que, lorsque, sous la pression de la finance, des spéculateurs et des crétins de traders, une entreprise délocalise pour produire à l'étranger à des coûts rappelant l'esclavagisme, ce sont des milliers de salariés mis sur le carreau qu'il faut financer. Et ce sont justement ceux qui restent, ainsi que leurs entreprises, qui font les frais de cette gabegie ! Plus il y a de chômeurs, plus les charges augmentent, c'est de l'arithmétique niveau CM1 ! Et plus le pouvoir d'achat diminue ! Un pouvoir d'achat qui, de surcroît, est consacré à acheter ces produits fabriqués à bas coût à l'autre bout du monde, au détriment de ceux qui sont produits sur le territoire national, et donc plus chers. Résultat : la boucle est infernale et la descente infinie.
Que peuvent faire les gouvernements face à cela ? Rien. Tant que la finance tiendra les rênes, les politiques d'austérité s'accentueront au détriment de la population, créant une spirale infernale vers le bas et entraînant une paupérisation générale… jusqu'à la chute brutale de ce système qui ne tient plus debout. Car le grand principe fondateur du capitalisme est le suivant : la part de valeur ajoutée accordée aux salariés en location de leur temps (de travail) doit leur permettre d'acheter les produits qu'ils fabriquent. Et c'est de moins en moins le cas.
Mais au final, la vérité est que la croissance est une illusion, fondée sur l'abondance des matières premières. Or, chacun sait que l'on arrive au bout des réserves. Qu'il s'agisse d'énergie ou de minéraux, il nous reste moins d'un siècle avant la pénurie. L'Humanité va donc se trouver confrontée à un mur infranchissable dans très peu de temps. Alors, ne serait-il pas plus raisonnable d'abandonner cette illusion et se tourner vers une "décroissance raisonnée" ? Qu'il s'agisse de l'augmentation de la population (qui a suivi celle de la croissance) ou de celle de la consommation, nous vivons dans l'excès le plus absolu. En 1800, nous étions 1 milliard. En 2000, 6 milliards, soit 6 fois plus. Et, en l'espace d'une dizaine d'années, nous avons encore ajouté 1, 5 milliards de bouches à nourrir !
Le tout avec une espérance de vie en augmentation (due en grande partie d'ailleurs à la baisse de la mortalité infantile dans les pays développés). Cette population vieillissante pose donc le problème des ressources nécessaires à son maintien, car, si l'espérance de vie augmente, celle de "vie en bonne santé" ne fait que diminuer.
Nous sommes au carrefour d'un choix crucial pour l'avenir. Saurons-nous prendre le bon chemin ?