Knowledge is a deadly friend when no one sets the rules. The fate of all mankind I see is in the hands of fools. King Crimson - Epitaph (1969)

Penser est-il devenu tabou ?

Écrit par Paul Renard. Publié dans Humeurs du moment

"Apprenez à penser par vous-même, sinon d'autres le feront pour vous", nous dit très justement Jean-Pierre Petit. Mais "penser" est-il en passe de devenir tabou ?

Voilà bien une question que l'on peut se poser en ces temps troublés. Troublés par les violences actuelles, les crises économiques à répétition ou encore par la pensée unique que veulent nous imposer les gouvernements par l'intermédiaire des médias, aujourd'hui quasiment tous au pouvoir de puissances industrielles ou financières.

Nexus105

Et c'est la question que se pose la revue Nexus dans son numéro 105 de juillet/août 2016, que je vous invite très fortement à lire, tant j'adhère à ce qui est dit et très largement étayé de preuves, comme toujours avec cette excellente revue qui, rappelons-le, est totalement indépendante, sans publicité, et donc non susceptible d'être "achetée" par un quelconque lobby.

 

Tout d'abord, on y parle de la théorie sur la "théorie du complot". Les récents évènements dramatiques ont en effet poussé les gouvernements, dont le nôtre, à réagir face à ces "théories du complot". On a, en effet, observé, particulièrement suite à l'attentat de Charlie Hebdo, des commentaires sceptiques dans les écoles sur les vrais responsables de ces horreurs. L'Education Nationale a donc demandé, ce qui, somme toute est légitime, aux professeurs des écoles de réagir face à ces extravagances, bien souvent délirantes et surtout infondées. Mais c'était aussi ouvrir une boîte de Pandore qui fait que toute personne contestant les versions officielles de tel ou tel fait, deviennent de facto des "conspirationnistes" en puissance, au point que des lanceurs d'alerte se voient de plus en plus condamnés par les tribunaux, sous couvert de "conspirationnisme" !

Je me souviens qu'avec mon ami médecin, nous nous interrogions sur les circonstances de l'affaire DSK. Notre idée de base était la suivante : à qui profite le crime ? Première question : pourquoi un homme possédant un superbe appartement à Manhattan irait-il louer une suite onéreuse à quelques pas de chez lui dans un hôtel, si ce n'était pour un "plan hot" ? A partir de là, on pouvait supposer que toute cette affaire se résumer à une simple histoire de sexe tarifé, probablement récurrente dans cet hôtel. Histoire qui s'est terminée, comme on le sait, par son arrestation, la perte de son poste au FMI et la ruine de sa carrière politique. J'avais à l'époque évoqué cette idée dans le courrier des lecteurs d'un quotidien régional. Dès le lendemain, mon article faisait l'objet d'insultes de la part de personnes tout à fait sincères qui ne comprenaient pas comment on pouvait "défendre" un violeur. On connait la suite : l'affaire était montée de toutes pièces, comme l'a prouvé la justice. Mais le mal était fait, et bien fait. Alors restait la question : à qui profite le crime ? Trois possibilités : DSK avait accompli au FMI un travail remarquable en remettant l'organisation sur les rails ou en accordant des prêts à taux zéro à quelques pays émergeants, ce qui ne devait pas plaire à tout le monde ; deuxième : son concurrent à l'élection présidentielle chez nous. Il est clair que face à l'un des économistes les plus éminents du monde, le candidat sortant eut été littéralement laminé lors d'un éventuel débat télévisé ; et enfin, troisième : son propre camp pour de quelconques raisons carriéristes. Les trois sont crédibles et je ne m'aventurerai pas à en choisir une. Néanmoins, face à un évènement présenté à chaud, il suffisait de raisonner à froid pour détecter les failles.

Passons. Dans le même esprit, Nexus nous rappelle que les "complots" foisonnent dans l'Histoire contemporaine : les accords Sykes – Picot signés secrètement durant la 1° guerre mondiale et qui avaient pour but le dépeçage de l'empire ottoman et la délimitation de nouvelles frontières avec, pour seuls critères, les intérêts stratégiques des deux nations, avec toutes les conséquences politiques géopolitiques que l'on connait aujourd'hui. L'opération Ajax en 1953, organisée conjointement par les USA et le Royaume Uni pour destituer Mossadegh, démocratiquement élu et qui voulait redonner les richesses du sous-sol iranien au peuple, au grand dam des compagnies pétrolières occidentale (j'en parle d'ailleurs dans le tome 2 de la 10° Planète, toujours disponible en édition numérique). Nexus poursuit avec le coup d'état du 11 septembre 1973 contre Salvador Allende, l'opération Northwood qui projetait des programmes militaires clandestins pour envahir Cuba sous fausse bannière, ou encore le réseau Gladio de l'Otan, et enfin la désinformation mise sur pied autour des armes de destruction massives de Saddam Hussein, tous documents déclassifiés aujourd'hui, mais qui auraient valu le titre de "conspirationnistes" à ceux qui auraient émis de telles idées à l'époque.

images atria pochettes ladixiemeplanetenubiru 200x305images atria pochettes ladixiemeplaneteamxo 200x300

Deuxième dossier brûlant de ce numéro : la surpopulation. C'est un sujet que j'ai maintes fois évoqué sur ce site ainsi que dans La 10° Planète Tomes 1 et 2 (toujours disponibles en édition numérique, faut-il le rappeler ?) et qui m'inquiète toujours autant : de l'an 0 à l'an 1000, la population est restée sable pour augmenter doucement de l'an 1000 à la révolution industrielle, où elle explose littéralement, à tel point qu'aujourd'hui, la courbe est quasiment verticale. A titre d'exemple, nous étions 600 000 millions vers 1800, et 6 milliards aux alentours de l'an 2000, soit un décuplement. Et, en l'espace d'un peu plus d'une décennie, nous avons encore ajouté 1,5 milliards d'êtres humains en plus. Les causes en sont connues : l'instinct de reproduction bien évidemment, les religions ("croissez et multipliez"), les besoins en main d'œuvre de l'industrie, ainsi que ceux des militaires pour fournir la "chair à canons" indispensable, sans oublier bien évidemment le postulat absurde qu'un pays à forte natalité est un pays fort, car cela favorise la croissance économique. Croissance économique qui devient de plus en plus illusoire à mesure que s'épuisent les matières premières indispensables à cette fameuse courbe (une théorie fumeuse des années 70 prétendait à ce propos que pour maintenir cette croissance, il fallait que la consommation double tous les 8 ans, ce qui impliquait d'une part une augmentation significative du nombre de consommateurs potentiels, et d'autre part, une obsolescence programmée des produits). A ce stade, l'humanité ressemble à ces essaims de criquets qui dévastent les cultures en quelques heures pour disparaître soudainement, faute de nourriture. car nous en sommes là : en 2100, la population mondiale atteindra au moins les 11 milliards (un chiffre revu à la hausse à chaque estimation). Et les conséquences ne seront pas anodines : on prévoit déjà de grandes pénuries d'eau potable, dont 93 % sert à l'agriculture destinée à l'élevage du bétail. Il faudrait donc un changement complet de nos (mauvaises) habitudes de surconsommation pour faire face aux enjeux cruciaux qui se préparent. Surconsommation alimentaire, mais aussi "de confort". Voilà qui va donc mettre à mal toutes les théories des économistes sur l'hypothèse d'une croissance infinie. Question que pose d'ailleurs Nexus : "est-ce qu'au nom d'une population mondiale pléthorique, chacun se montrera solidaire et voudra se limiter au strict nécessaire ?"

courbe population mondiale

En conclusion de ce dossier, je ne peux qu'adhérer à cette autre pensée : "ainsi, plus que d'être végétarien, d'utiliser des toilettes sèches, d'acheter local et en vrac, de se déplacer en transports en commun, ne pas avoir d'enfant est le geste le plus écolo-friendly".

Enfin, et pour terminer ce long article, troisième dossier de ce numéro : la mainmise sur l'argent, "qui n'est plus un moyen au service de tous, mais une fin au bénéfice de quelques-uns". En effet, et surtout depuis la fin de la dernière (espérons-le !) guerre mondiale, les états souverains ont-ils perdu petit à petit leur autonomie en matière monétaire, à tel point qu'aujourd'hui les 28 banques systémiques mondiales (systémiques dans le sens où la faillite de l'une d'entre elles entraîne celle de toutes les autres) détiennent – vous êtes assis ? – 58 milliers de milliards de dollars, soit 76 % du PIB mondial, et – coïncidence ? Ou volonté délibérée ? – la totalité de la dette mondiale des états. Toutes les lois monétaires, telle la création de la Fed (Federal Reserve Act, defenue depuis Federal Reserve System) ont été édictées au fil du temps par les représentants d'une poignée de banquiers (dont JP Morgan, Rockefeller, Rothschild, Lehman, Harriman, par exemple) et ont conduit à ces politiques ultra libéralistes qui amenuisent d'année en année le pouvoir des gouvernements à diriger souverainement leurs états. Ainsi, en France, cette dépossession commence en 1973, avec une loi encadrant les pratiques de finances publiques, le gouvernement Français entame une longue dérive en faisant appel aux marchés financiers, en lieu et place de la Banque de France : le début d'une dette abyssale, le tout encore conforté par l'interdiction formelle faite aux état européens d'emprunter en dehors des banques privées. N'importe qui peut comprendre que l'accroissement de la dette ne provient pas de dépenses publiques exagérées (argument culpabilisant permettant de faire accepter plan d'austérité sur plan d'austérité…), mais bien des caractéristiques intrinsèques du dispositif. Pour conclure, souvenons-nous de cette pensée du cynique industriel Henry Ford : "il est appréciable que le peuple de cette nation ne comprenne rien à notre système bancaire et monétaire. Car, sinon, je pense que nous serions confrontés à une révolution dès demain matin".

Voilà, vous savez – presque – tout de ce numéro de Nexus que je vous invite à lire !

Cet article débutait par une phrase de Jean-Pierre Petit. Pourquoi ne pas le terminer par une autre, tout aussi juste : "Si vous vous comportez comme des veaux, vous finirez à l'abattoir".